– S’il m’aimait…
Elle reste interdite.
– Oui ?
Je l’encourage.
– Qu’imaginez vous qu’il ferait, comment pensez vous qu’il serait s’il était, comme vous l’attendez depuis vingt ans, « vraiment amoureux » ?
– Je ne sais pas vraiment le dire. Mon cœur devrait faire boum boum boum à sa venue, et alors j’imagine que le sien aussi. Moi je ne sens rien. Sent-il lui quelque chose proche de ce vertige que je crois être nécessaire à l’amour authentique ?
– Le désordre des sens… Est-ce l’amour ? Est-ce s’aimer l’un l’autre que de laisser les corps vibrer comme nous le leur interdisons dans nos rapports sociaux ?
– C’est ce que j’ai ressenti des fois. Un homme de passage, un frôlement, un regard. Jamais cet homme avec qui je partage ma vie je ne sais pas pourquoi.
– Comment vous a-t-on aimé enfant ?
Interdite, rien à en dire, elle aime que je lui pose cette question.
– Je l’attendais…
Comme si c’était l’aimer enfin. Et non des caresses qui ont manqué. Mais des mots structurants.
Des mots qui peut être la structurent, qui peut être structurent la relation qu’elle a choisie à son corps défendant.
– Vous me touchez, vous et Fabien. – Je poursuis alors. – Je suis persuadée que vous vous aimez sans le savoir tous deux. Puisque qu’est-ce que ce fût pour chacun de vous deux que d’être aimés ? L’amour en couple permet de retrouver l’amour premier. Et souvent il recommence ailleurs dans l’illusion d’un « encore mieux » le retrouver. Vous, vous ignorez tout de ce primo-amour. Vous tissez un amour toujours imparfait. Et que vous n’êtes pas alors prêts de quitter…
– Je ne comprends pas tout…
– Vous sentez vous bien aux côtés de Fabien ?
– Je ne me reconnaîtrais pas ailleurs… Il me rend moi-même… (Rires) Même si je ne m’aime pas !
Je souris.
– Vous voyez bien qu’aimer est bien plus indescriptible qu’un chabadabada. Aussi indescriptible que d’être soi est l’entre soi.
Chabadabadabada
Sculpture en illustration de Céline Guiberteau
