Dans une conférence donnée la semaine dernière, Vint Cerf, l’un des pères de l’Internet, Chief Evangelist de Google a prononcé des mots qui ont choqué pas mal de gens. Mais, comme dans de nombreux cas similaires, la petite phrase a été sortie de ses explications pour laisser libre cours à tous les délires.
Qu’a dit ce manager de Google ?
« La vie privée pourrait être une anomalie » tout en rappelant que cela n’était pas nouveau. Elevé dans un petit village sans téléphone, il a rajouté que « Dans une ville de 3.000 habitants, il n’y a aucune vie privée. Tout le monde sait tout à propos de tout le monde. » Avant de conclure que, avec Internet, « Il sera de plus en plus difficile de protéger sa vie privée. »
Continuant dans son propos, Vint Cerf a tenu à préciser que, contrairement à ce que tout le monde prétend, le besoin de vie privée n’est pas dans la nature humaine. Au contraire, clame-t-il ! « C’est la révolution industrielle est l’essor des concentrations urbaines qui a conduit les sociétés à promouvoir le sens de l’anonymat. »
Avant de diaboliser Google et d’y voir encore la main invisible de Big Brother qui nous espionne et nous prive de tout, je voudrais partager avec vous quelques réflexions que ces propos m’inspirent.
Je pense d’abord que Vint Cerf a raison de prendre des références historiques et de rappeler que nous sommes un animal éminemment social dont la richesse est issue en partie de la vie en communauté et de ce désir de partager nos ressources et fondre nos existences dans un ensemble plus large. Il a ainsi parfaitement raison de rappeler que la notion de vie privée que l’on dissimule à ses voisins est une invention moderne née de l’ère industrielle et de l’essor des métropoles.
L’autre réflexion que cela m’inspire est que sa prédiction est évidemment très pertinente. Aucun d’entre nous ne peut dire le contraire et ne peut nier qu’il est de plus en plus ardu de protéger sa vie privée, si tant est que nous voulions d’ailleurs le faire. Car le point crucial de ce débat réside non pas dans les technologies ou les attitudes d’un Google ou d’un Facebook, mais dans la volonté et le libre arbitre des internautes.
Depuis que je suis sur Internet et que j’observe le développement des réseaux sociaux, je suis témoin chaque jour ce besoin de livrer des éléments de vie privée sans que personne n’ait rien demandé à ceux qui le font. Comme si le fait de se dévoiler était un marqueur social, le signe d’appartenance à une société avide de reconquête d’un lien social perdu depuis des années.
En poussant le raisonnement encore un peu plus loin et en extrapolant ce que nous dit Vint Cerf, nous pourrions donc affirmer que la révolution industrielle a eu un impact négatif sur la vie en société, qu’elle nous a séparés les uns des autres, isolés dans nos tours et nos quartiers, et qu’Internet nous offre aujourd’hui la possibilité de réparer en nous permettant de créer les conditions d’un nouveau lien pour l’animal social que nous sommes fondamentalement.
De vous à moi, j’aime bien cette idée et je préfère cette lecture des propos de Vint Cerf plutôt que de me satisfaire de ces articles outrés qui ont tenté de diaboliser un peu plus Google et l’Internet.
La question de la vie privée est une question cruciale à l’époque où nous vivons. Internet a certes créé les conditions d’une plus grande exposition de ce que nous considérions comme « privé » par le passé mais la question que nous devons nous poser est de savoir si c’est bien ou mal. Et je crois pour ma part que la réponse n’est pas aussi tranchée qu’on veut bien le dire.
S’il est évident que les populations les plus vulnérables (et je pense notamment aux jeunes) doivent être préservés par une meilleure éducation des dangers d’une trop impudique exposition, je pense aussi que la dimension sociale du net est un progrès incontestable et historique de nos sociétés. Essayons de mettre à jour notre logiciel et de prendre du recul vis à vis de nos peurs primaires qui nous font voir en chaque géant du net un monstre diabolique.
Et puis, n’oublions pas que nous sommes les acteurs de notre propre impudeur et que nous pouvons y renoncer à tout instant.
Internet est une création collective, déterminée, rêvée des internautes eux-mêmes. Ils l’ont créé car ils en avaient quelque part besoin.
A suivre…