« Le travail est un mot tellement dans l’air du temps qu’il s’est dissout en lui et semble se loger partout où l’homme respire. Un mot épais, acide, amer. […]
Comment décrire cette notion étrange qui fait cohabiter dans le corps et l’esprit des hommes, la servitude et la création, la soumission et l’accomplissement, la torture et l’enfantement, la souffrance et la joie ? »
Ces lignes-là sont de Edwin Lavallée pour un appel à contributions dans le prochain SANS-TITRES, une création poétique collective.
Et ces lignes et ce thème-là m’ont donné envie de contribuer avec quelques lignes sur ce drôle de travail qu’est le travail sur soi.
C’est cousu d’avance
Quel étrange travail que le travail sur soi. Libres associations et voyages en enfance, sur le divan ou le canapé, pour tenter de détricoter et puis lâcher ce qui au travail et à l’entour nous torture et nous enferme; et qui vient de loin au fond.
Ainsi cette femme-là, dans son agence, elle aime ajouter de l’humour noir à l’absurde des jours ordinaires. Car à la longue ça semble plutôt absurde de donner ou refuser des crédits à ceux qui n’en peuvent déjà plus. Alors, pour traverser les hauts et les bas du marché et les humeurs changeantes de son équipe, elle encourage et taquine, agite et chahute chacun de ses coéquipiers. Mais ce qui hier allait de soi dans l’art de diriger change aussi. Et, aujourd’hui, l’air du temps est à la souffrance au travail et aux risques psychosociaux, alors ses collègues aiment se liguer contre elle et puis porter plainte pour harcèlement.
– Suis-je vraiment maltraitante ? se plaint-elle à son tour.
– Il y a en chacun de nous une rage originelle parfois cachée ou empêchée.
Elle se souvient alors de la cour de récréation quand elle était moquée et tyrannisée. Mais elle gardait tout ça pour elle.
– Que faire de ça aujourd’hui ? gémit-t-elle.
– Cette rage-là, retenue, est parfois retournée contre soi ou dirigée vers qui veut bien. Violence reçue hier, violence donnée aujourd’hui.
Alors elle essaie de marcher sur des œufs avec son équipe. Mais les syndicats font une descente dans son agence et la passent à la question. Harcèlement à l’envers. Chacun joue sa partie.
– Que faire ? interroge-t-elle.
Pour ne pas rendre l’âme, elle finit par ne plus rien faire. Et puis elle rend les clefs de sa boutique. Son travail lui offre là comme une nouvelle naissance.
Parce que la naissance c’était aussi un drôle de travail pour elle. Pas que des bons souvenirs ; quand son enfant est venu au monde la sage-femme et le médecin ont fait une énorme gaffe ; travail de nuit ; l’enfant abîmé à jamais hélas. Alors elle en veut au monde entier et aussi un peu à Dieu parfois.
– Que faire de tout ça ? questionne-t-elle encore.
– Ça vient de plus loin encore peut-être ?
Alors elle lâche qu’après sa venue au monde à elle, ce n’était pas vraiment glamour non plus ; sa maman était tour à tour très euphorique et puis très dépressive. Et ça soufflait le chaud et le froid tout à l’entour. Alors elle tentait de la câliner et de la chahuter pour traverser ensemble les hauts et les bas. Mais en vain. Alors sa rage d’aujourd’hui, peut-être qu’elle vient de là au fond ?
Et à présent, elle vit moins à fond l’instant passé ; au travail et à l’entour.
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