Elle a toujours cet énorme besoin de se retrouver seule en soirée. Ce n’est pas facile alors pour elle de partager sa vie.
Puis elle dort, ou elle ne dort pas. Puis elle rêve une nouvelle fois :
– De valises, ces valises, vous savez, qui apparaissent dans mes rêves comme une part de plus de moi.
Elle rêve de valises menottées à ses poignets, de lignes de crête, de houle de la mer en contrebas « sans trop pouvoir distinguer », ajoute-t-elle, « quel est le côté bleu nuit et lequel le vert la vie ».
Et sans trop savoir pourquoi elle évoque sans transition ce souvenir qu’elle n’a pas, jamais évoqué jusque-là :
– C’est ma mère qui garde ce souvenir pour moi. Car je n’étais que nouveau né et j’ai du être hospitalisée pendant six mois. D’abord j’ai été opérée d’une malformation gastrique et ensuite je suis restée en observation et aussi pour me nourrir au sérum par transfusion jusqu’à récupérer un poids normal.
Poches aux poignets, entre la vie et la mort et sous le regard impuissant de maman ?
– Maman, elle, elle a perdu beaucoup de poids.
– Et votre papa ?
– Maman venait tous les jours de loin ; elle confiait mon frère et ma sœur en très bas âge et qu’elle choyait par ailleurs, et elle se donnait tout autant à moi, son troisième bébé. Étrangement singulier déjà. Papa, lui, travaillait dur. Il passait avec moi ses week ends. Mais le soir… Il n’y avait plus personne le soir ça je sais. Le soir à l’hôpital, l’enfant laissé à ses rêves invente seul sa vie… Ou il meurt.
Je sors de cette séance en douce, laissant la grande dame, que je lui ai toujours reconnu être et qui là finit de crever le cadre d’un accompagnement de maître, bercer son enfant en elle.
Je sors de ce rêve à trois qui se dessine déjà : elle, l’amour qui l’aimera comme elle a aimé la vie, et l’enfant qu’elle enfantera avec lui.