– Cela fait longtemps que je pense à me faire accompagner.
– Avez-vous rencontré des difficultés qui vous y ont fait penser ?
– Non. Je veux dire que j’ai rencontré des difficultés dans ma vie comme nous tous. Mais ce n’est pas à l’occasion de ces difficultés ou même encouragée d’un doux chalenge que j’ai pensé me faire aider.
Je fais silence. Elle poursuit seule lors de cette première rencontre.
– C’est comme aujourd’hui. C’est une période calme. Je ne rencontre pas de difficulté particulière et j’ai pensé à me faire accompagner. Juste comme ça. Pour moi. Sans rien devoir à personne ni répondre à un objectif. Sans échéance. Sans urgence. D’ailleurs, je peux commencer en mars. ( Nous sommes au mois de septembre). Je pars bientôt, fin octobre, pour une mission à l’étranger. Je reviens en décembre mais je repartirai aussitôt si tout va bien. Je serai enfin de retour au printemps.
– Vous partez en Octobre. Nous avons de quoi engager deux ou trois séances avant votre départ. Je vous dis ça parce que même si vous êtes demandeuse de l’accompagnement psychanalytique que j’offre et qui, en effet, ne s’embarrasse pas d’objectifs et des réussites, qui demande, cela oui, une assiduité, vous êtes aujourd’hui face à moi et nous ne sommes pas au mois de mars. Je vous invite à ne pas suspendre votre démarche à peine vous l’avez engagée.
– Je suis d’accord.
Je sors mon agenda et lui propose mon prochain créneau qu’elle prend. Et je la raccompagne au dehors. Pourquoi est-ce si difficile de rentrer dans la vie d’un autre ? Le seul « autre » que nous ayons investi sans y penser c’est la matrice maternelle. J’essaye d’accueillir les demandes que je reçois dans cet esprit. Mais je n’y reste pas. Surtout pas. Je suis tout autant « le père » qui nomme l’autre et lui dit « va ». Victoire pose d’emblée son nom singulier et son départ. Curieuse manière de se prendre à moi.
Victoire a un métier qu’elle exerce en équipe et en libéral. Elle est en couple et elle vit seule. Elle s’assume, comme on dit, depuis sa jeunesse. Elle veut être accompagnée. Elle veut se sentir mieux avec elle-même. Veut-elle donner à sentir sa propre essence au monde qui l’entoure ? C’est ce à quoi me fait penser cet accompagnement qui commence comme un échantillon, une empreinte laissée et s’effacer, voir si ça dure.
Un vécu précoce d’abandon peut laisser cette trace, ce mode paradoxal de rentrer en relation et faire en sorte qu’elle perdure dans la propre disparition. Rien ne dure davantage que ce qui a manqué ou qui a été perdu. Si. Ce qui n’a jamais été lâché. Se séparer.
– Elle est dure.
– C’est qui elle ?
– Ma mère.
Et nous commençons ensemble une suite de séances, et il y aura des suites alors. Jusqu’à ce qu’elle s’en prenne à moi, je le lui souhaite vivement. Et si elle et moi nous traversons cela, que l’analyse fait son œuvre, elle ne pensera plus à être accompagnée. Elle le sera pour toujours.