La valeur travail
Le groupe de travail n’est pas une collection d’individus ni même une équipe orientée vers un but, ayant à charge un objet. Il est, dans la tête de celles et ceux qui le composent comme de celles et ceux qui le découvrent ou le côtoient, il est un contenant. En effet, chacun se représente et vit l’existence d’une membrane invisible, d’une frontière naturelle entre le dedans et le dehors, le connu et l’inconnu, le « assez » sûr et l’incertain.
Cette bulle, dans sa dimension symbolique, héberge et calme ou tolère et soutient les élans, les peurs, les incompréhensions, les angoisses de chacun. Car à l’intérieur de cette enveloppe groupale, se trouvent les enveloppes psychiques de chacun. Les bulles fragiles, intimes. Entre elles existent des alliances, des oppositions, autant de tolérances que de passions. La vie. Et l’atmosphère partagée donne de l’air à cette vie, aux difficultés, aux joies et aux accomplissements !
D’autres bulles plus grandes et paradoxalement plus fragiles englobent à leur tour ces rassemblements à taille humaine et à l’action certaine : les métiers, les entreprises, la cité, les nations, la planète Terre, Mars et Pluton.
Pour certains d’entre nous, ces structures contenantes, des plus externes aux plus internes, se sont effondrées. La menace climatique, la réalité sanitaire, la contrainte du télétravail, de la vie seul à distance, de la promiscuité travail-famille-patrie s’imposent comme représentations sans affect : sans pouvoir tisser de liens « vérifiés », découvert et pratiqué des affinités électives par le contact direct et régulier.
Et certains parmi certains d’entre nous cristallisent les angoisses et se brisent : la vague psychiatrique est un big bang en puissance pour l’esprit humain. S’adapter ou recréer ?
L’espace de travail solidaire que peut être un établissement d’entreprise, un tiers-lieu d’indépendants, un parcours de formation tisse une membrane de protection, de transition autour des participants. Sous la pression, il désigne les figures du bouc émissaire ou du laissé pour compte. Sous stimulation, intellectuelle et sensible, il évolue favorablement.
Mon vécu d’enseignement universitaire, bien avant ces chocs derniers, mais même à travers eux, est celui de la coévolution. Et c’est ceci que retrace mon argument dans l’ouvrage ECOSYSTEMIX. L’expérience réelle se situe quelque part en France quelque temps avant l’épidémie. Et j’avais aimé imaginer des bulles claires et souples qui s’interpénétraient davantage qu’elles ne s’entrechoquaient entre le monde du travail et le monde de la recherche universitaire, entre les groupes de travail à quatre ou six d’une promotion de vingt-cinq et le groupe et les groupes des intervenants pédagogiques.
Emergences
Cet écrit m’a permis d’avancer les conditions de l’émergence des compétences écosystémiques : « à ne rien faire ». D’autant plus et d’autant mieux lorsque les repères se perdent : lorsque l’entreprise déçoit des attentes trop absolues, lorsque le rythme de formation rejoint celui de la vie banale, intense et efficace, lorsque le groupe n’entretient pas l’illusion groupale, la tiédeur de la matrice, avant qu’il ne se réchauffe à sa propre dynamique, lorsque les enveloppes cèdent ou se brisent, lorsque l’on ressent surtout et avant tout la haine de soi, humain trop humain. Ensemble, dans la reconnaissance mutuelle, l’humanité paraît.
Notre collectif d’intervenants universitaires (nous sommes une vingtaine, le même nombre quasiment que la promotion complète) a dû s’ouvrir aux réalités et aux altérités du collectif d’apprenants, renoncer à sa supériorité « normale », aussi « new normal » que « old fashion », à exercer le pouvoir et la domination, de statut, de métier ou institutionnelle.
L’Université et d’autres institutions de brassage et de recréation sont des caisses de résonance et de percussion, mais elles sont aussi émettrices de modes de relation et d’appartenance nouveaux. Fabriques sentimentales autant que matérielles, productrices de bulles, qui ne sont rien que des bulles, mais qui peuvent laisser de la place à l’air du temps selon l’idée de l’équilibre psychologique du « good enough ». Assez protégés et assez risqués, osés, chacun de nous et créatifs ensemble.

Coincer ma bulle dans ta bulle : expression qui signifie ne rien faire, se laisser aller à ce qui vous entoure.
Ecole Militaire de Saint Cyr
Ou comme le chante Etienne Daho : mon aquarium.
Reliances
La grande matrice économico-financière se prépare en tout cas… et nous, chacun de nous, Stéphanie Flacher, où en sommes-nous ? Son argument suis le mien dans l’ouvrage, et il remonte à la bulle financière de la blockchain. A découvrir bientôt par ici aussi.
Je vis dans mes interventions actuelles des blocs quasi-identitaires, moins de mobilités que dans le monde d’avant qui avait servi de base à mon écrit. Nous vivons cette dérive identitaire, craintive et accusatrice dans ce que véhiculent les médias aujourd’hui même.
Est-ce que la blockchain nous partitionne économiquement et socialement à nouveau, peut-être pas entre les riches et les pauvres mais autrement, ou bien est-ce que chacun de nous et nos communautés pourrons évoluer et co-évoluer, co-créer un monde vivant ?
Coévolutions au pluriel composé et projectif de l’avant.
L’écosystémie comme un ensemble de compétences naturelles et culturelles pour vivre et travailler ensemble, comme un ensemble autant de ressources humaines que de manques et de carences humaines qui se rencontrent, cette écosystémie maîtrisée ou apparemment maîtrisable n’est pas vraiment ce qui nous a intéressé et mobilisés, émotionnellement, en tant que groupe humain.
L’ouvrage que nous vous présentons aujourd’hui n’est pas un catalogue de solutions ni une méthodologie. Nous avons choisi de nous intéresser à la résolution vivante, au comment émergent et réémergent ces compétences, ces ressources, ces limites.
Nous nous sommes rapprochés, nous nous sommes choisis et nous avons choisi le savoir par l’expérience. L’écosystémique en somme.
Ecosystémique
C’est l’approche écosystémique, et non une quelconque méthodologie éprouvée et des solutions toute trouvées, c’est l’approche vivante qui est l’objet du livre que nous présentons. C’est notre rapprochement tout simplement et notre ouverture sur les réseaux à certains d’entre vous et aujourd’hui encore à d’autres ici présents pour la première fois.
Car comment et pourquoi nous sommes ensemble cela a trouvé ses moyens puisqu’il y aura eu création, et son pourquoi se poursuit ici. Nous demeurons vivants, dans cet « être à l’approche ».
L’approche, parlons-en un instant avant d’en venir aux processus qui la traversent et qu’elle organise, de proche en proche.