On raconte que les dominos seraient une modification chinoise du jeu de dés indien. Ils auraient transformé ces dés en pièces plates réversibles, puis en pièces à deux pendants. Les marins en jouaient beaucoup et les dents des baleines leur servait de matériau. Le bois et le carton, l’ivoire et les os ont été d’autres matières premières pour y jouer n’importe où n’importe comment. Les dominos sont apparus en Europe au XVIIIème siècle.
Leur appellation alors pourrait avoir deux origines. Elle viendrait soit d’un costume du Carnaval, appelé « Domino », noir sur le derrière et blanc sur le devant. Soit de la cape que revêtaient les prêtres dominicains en hiver. Elle était blanche à l’intérieur et noire à l’extérieur. Pour moi cela a été toujours perçu comme un mot qui désignait à la fois la réunion joueuse, joyeuse, et le maître dominant.
Mon père y jouait tous les week ends de l’été avec ses amis du Club de vacances, et il a remporté la coupe du championnat au moins une fois dans mon souvenir d’enfant. Son co-équipier du moment s’appelait Luis, et c’était aussi son deuxième prénom.
Les joueurs qui jouent en duo jusqu’à cumuler les points noirs des pièces restées sans emplacement dans ce jeu de plateau se placent en miroir. Ils n’ont pas le droit de se dire les jeux dont ils disposent. L’objectif est que l’un d’entre eux puisse poser toutes ses pièces et que les deux opposants en conservent à ce moment couperet un maximum de pions et de points noirs gravés dedans.
On ne doit entendre que le choc des pièces lâchées comme un fardeau. Mon père ne savait pas se taire. Mon père ne savait pas rester assis en miroir d’un homme qui dans mon souvenir était lui imperturbable et stratège sans nul remord. Mon père balançait ses pièces autant à hauts cris qu’en gestes forts. Ensuite il rigolait avec son double de tout ce qu’il lui avait dit de son jeu à mots couverts tonitruants. J’en ai été le témoin souvent.
Je pense que ni son ami ni lui-même n’avaient vraiment besoin de ces stratagèmes pour s’imposer dans ce jeu de connivence, ils l’avaient, et de régularité, de souhait de poursuite de la relation, autant que de mémoire et de préparation du coup d’après avant tout.
Je peux imaginer que mon père s’ennuyait de jouer les combinaisons qui de toute façon se déroulent selon le hasard de la distribution des pièces. Je peux imaginer que peu importe les pièces pourvu qu’il y ait d’autres hommes à rencontrer en tournoi de vie sans la mort et qui en jouent comme ils sont.
J’ai rencontré André et nous avons formé un duo et nous aimons jouer avec vous en groupe collaboratif et individualisant. Il ressemblait à mon père dans ses excès d’alors ! La rencontre est un coup de Domino. Le seul maître de notre monde est de rentrer en relation. D’en avoir les précédents. La rencontre du père est la première rencontre du différent, du vivant. Quel qu’il soit le père : quittons les impératifs théoriques paternels, ici un trublion, sans rien perdre de sa domination ; moi, en tout cas, je le lui accorde et cela fait relation. La pièce de fin, c’est seul qu’on gagne, qu’on meurt alors.
*Domino est le nom que je viens de donner au nouveau petit chat de l’atelier de campagne à Sens. C’est lui qui a jeté la première pièce de cet écrit qui me vient doucement. Vous le rencontrerez si vous venez en groupe de travail avec nous. Et ici, en photo de couverture du temps présent.