L’identité et la singularité sont marquées par le prénom, l’allure physique et l’originalité de la pensée et des émotions. Elles aboutissent à des créations qui, lorsqu’elle sont partagées alimentent le sentiment d’exister. Elles se renforcent avec celui de continuité : le sentiment de rester « égal à soi-même » à tout moment et en toutes circonstances. Ces sentiments façonnent à tel point la personne, l’individu, le sujet, qu’il se vit » identique » ou du moins reconnaissable à son » style « , à sa façon d’être toute particulière tout au long des transformations qu’il » subit » au fil des années, dont celles de l’enfance, de l’adolescence, de la maternité pour les femmes, de la maturité et de la vieillesse. La rencontre avec un accompagnateur en est le révélateur.
Les contours de notre unicité sont aussi ceux de notre groupe d’appartenance : nous nous ressemblons, nous nous reconnaissons les uns les autres, nous nous percevons comme étant proches tout en étant conscients des différences qui nous constituent. Nous retrouvons notre style d’appartenance à travers nos changements de lieu en plus de dans le temps. Ce sont nos choix, conformes à l’appartenance d’origine, ou du moins, relatifs à elle. Avec des nuances ou en opposition. L’expérience du Soi, d’une présence corporelle et d’une place et non seulement d’une activité psychique intime, le Moi, est patente dès la naissance. Cette expérience peut être envisagée comme la manifestation première et fondamentale de l’identité.
L’être au monde
Winnicott a été le premier en 1965 à formuler ce Soi, même si Freud avait bien insisté sur le caractère corporel du Moi, de son expression clairement manifeste dans l’hystérie. Winnicott l’a ancré dans l’expérience subjective de l’être au monde, et dans le moment primordial de la relation à la mère. Si les ambiguïtés de la communication mère-enfant avaient fait souligner le lien paradoxal, squizophrénique, fait de persécution et de désespoir par George Bateson, Winnicott se réfère aux liens les plus précoces, d’émerveillement pur d’existence, lorsque l’enfant rencontre son premier miroir dans le visage de la mère. Elle le réfléchit puis parvient à s’identifier du moins partiellement à lui et à apporter des réponses toutes personnelles à ses besoins et à ses désirs. L’enfant peut reconnaître dans ces réponses, quelles qu’elles soient, ses propres besoins et envies. Il s’y identifie et acquiert son identité.
Le développement de l’enfant exige une autre psyché qui soit à même de penser et de ressentir ses sentiments et intentions, sans pour autant l’envahir de ses angoisses ou de ses propres états affectifs négatifs. La manière dont la communication première se déroule doit pouvoir permettre de reconnaître des sentiments distincts, qui seraient le reflet les uns des autres et non un sentiment pleinement partagé !
Si le sentiment d’identité a une origine très précoce dans la relation à la mère, qu’il se complète dans la relation au père sans que les désirs soient « satisfaits » de lui mais clairement reconnaissables comme étant « similaires », mimétiques et rivalitaires par rapport à celle-ci, ce sentiment se consolide et se détache de ces deux parts du moule, le noyau des origines, lors de la crise d’adolescence, avec la découverte d’une appartenance toute singulière : celle du groupe de pairs.
De faire la paire à faire avec les pairs
Le pubertaire représente un retour du pulsionnel originel, endormi pendant la période de latence, de 7 à 10 ans, le temps des apprentissages symboliques : lire, écrire, réfléchir, solutionner, questionner, patienter. L’adolescence s’étend sur toute une période de vie où les affects infantiles sont remis en question. Longuement mais aussi violemment.
L’adolescent doit chercher une nouvelle identité par rapport à l’identité infantile qui s’est construite dans un lien de dépendance aux parents, d’idéalisation ou de soumission auto-conservatrice. Cette épreuve de vérité toute personnelle provoque une restructuration brusque et très ambiguë de la personnalité, avec des prises de position extrêmes, en évolution rapide aussi, chargées de conflictualité de par la complexité qu’elles tentent d’embrasser.
La tempête relationnelle envers les figures de référence peut être d’une très grande violence, un « ravage » en particulier avec l’adulte du même genre, un affrontement implacable chez les adolescents les plus vifs qui savent pouvoir mettre en crise les rapports précédents sans perdre leur Soi, leur unité, pour autant.
En revanche, ceux dont le Soi est menacé ou fragile risquent de demeurer dans un rapport de soumission envers les figures d’autorité, de passivité auprès des pairs, victimaire ou dominant, empêcheur. La crise, préparée longtemps en amont, se caractérise par une dépression non reconnue comme telle, un état d’anxiété pouvant amener à somatiser ou à développer un « faux self », un semblant de personnalité, une identité de rôle. La place dans le groupe est figée et fige l’ensemble.
La chance de la maturité en milieu professionnel
La crise de milieu de vie est la dernière grande crise identitaire, celle qui se projette vers l’échéance mortelle plutôt qu’à partir des origines tout aussi inhabitées.
Une chance pour l’affirmation de Soi et le dégagement des cuirasses. Pour la transmission et l’apport effectif au monde et au sens de l’histoire.
La consultation en groupe ou en individuel – souvent en groupe en milieu professionnel, un groupe de pairs ou bien les groupes tripartites et quadripartites du coaching professionnel, puisque des réunions ont lieu entre le coach, le coaché, la RH et le manager – cette consultation désormais normalisée doit permettre de distinguer le manque temporaire de cohésion interne, et c’est le groupe alors qui peut permettre de refléter un remembrement, ou bien révèle-t-elle des fractures plus profondes ? Ces dégâts identitaires, et asociaux alors, auront besoin d’un soutien suivi complètement à l’écart du milieu professionnel ou alors, en étant reconnus et acceptés au titre de la diversité désormais, dans une intégration dédiée, permettant des apports au groupe de travail qui ne seront plus performatifs, mais aussi modestes que réguliers et en cela, précieux.
La personne qui craint ses propres limites internes apporte des limites réelles aux autres. Elle apporte au groupe la réalité de sa propre discontinuité et la pertinence de l’effort collectif, du désir de groupe, en renouvellement continu.
L’interdépendance et l’hétérogénéité permet au collectif d’asseoir sa propre identité, complexe et forte, préalable à son action. Et de renforcer celle de ses membres dont la projection est multiple, en diffraction sur l’ensemble des participants.
Le groupe et les sujets qui l’habitent dépassent aisément alors les écueils des groupes délirants, très répandus dans nos organisations formelles et dans nos écosystèmes digitaux : l’idéalisation ou l’illusion groupale, l’opposition binaire, en leur sein ou par rapport aux autres groupes, et le désengagement individuel, selon les hypothèses de référence transdisciplinaire de Wilfred Bion.
Le groupe vivant traverse les stades de son propre développement, la ronde de son identité et des identifications en son sein : forming, storming, performing, adjourning.
Le moment de l’inclusion, de la « tempête relationnelle », défensive de chacun et créative ensemble, de collaboration pour certains objectifs et d’ajournement pour bien d’autres aventures, se déroulent tout naturellement.
L’accompagner est un don, de ce groupe à ses accompagnants. Des accompagnants au pluriel et en groupe tout aussi vivant envers leurs accompagnés d’un passage fécond.